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On a fait le bilan avec le pionnier du kebab “à la berlinoise” à Paris

On a fait le bilan avec le pionnier du kebab “à la berlinoise” à Paris

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Par Robin Panfili

Publié le

Trois ans après l’ouverture de Gemüse, le kebab "berlinois" est partout. L’occasion de revenir sur ce phénomène culinaire.

Il y a trois ans, le monde du kebab vivait, sans le savoir, un début de révolution. Dans le nord-est de Paris, dans un quartier déjà bien peuplé par les jeunes actifs, un nouveau restaurant ouvrait, Gemüse, avec une promesse inédite dans la capitale. Un kebab fait maison, agrémenté de légumes grillés, directement inspiré des kebabs que l’on peut avoir la chance de déguster à Berlin, et que l’on retrouve désormais un peu partout à Paris et à travers la France. À l’origine de ce projet culinaire audacieux pour l’époque, on retrouve Noé Lazare, qui a accepté de faire le bilan de ces trois années de grands chamboulements pour Konbini food.

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Konbini food | Voilà déjà trois ans que Gemüse, l’un des premiers kebabs “à la berlinoise” de Paris, est ouvert. À l’époque, en 2018, vous avez été pionniers à Paris et en France, mais comment vous est venue l’idée de l’importer ?

Noé Lazare | Effectivement, lorsqu’on a ouvert Gemüse, on était les premiers en France à proposer un kebab “à la berlinoise”. Ça faisait bien huit ans, déjà, que l’idée m’obsédait : depuis mon premier voyage à Berlin, en fait. Je pense que c’est là que j’ai réellement compris ce qu’était le kebab : un sandwich issu du brassage culturel, mouvant, se transformant à chaque passage de frontière, portant le même nom mais jamais la même identité.

© Gemüse

Tu avais eu un déclic ?

En gros, j’ai compris qu’il n’y a pas un kebab, mais des kebabs. Si je suis un gros consommateur de kebab à Paris, je suis surtout un amoureux transi de tout ce qui peut se retrouver entre deux tranches de pain et être appelé sandwich. J’ai alors eu envie de proposer ma version de ce sandwich qui a rythmé ma vie, en m’inspirant principalement de ce que j’avais adoré à Berlin, mais en me laissant aussi la liberté d’y apporter ma touche personnelle et d’y intégrer tout ce que j’aime le plus en termes de cuisine.

“On était en train d’effectuer le plus gros changement que le kebab ait vécu en trente ans, ça ne pouvait pas se faire en douceur”

Quelles ont été les difficultés lorsque vous vous êtes lancés ?

S’improviser kebabiste n’est pas une mince affaire [rires]. Surtout quand on veut le faire dans les règles de l’art et tout faire maison de A à Z. Tu ne peux pas vraiment t’entraîner à faire une broche chez toi, ou alors il te faut vraiment une bonne assurance. Au-delà de l’apprentissage du métier, on était les premiers à proposer aux Français de découvrir le kebab dit “berlinois”, et ça ne s’est pas fait sans difficulté.

© Gemüse

Pourquoi ?

On s’attaquait à un monument de la culture food française, avec lequel chacun a une histoire personnelle plus ou moins forte, revêtant une signification différente pour chacun. Les clients avaient tendance à prendre personnellement le fait qu’on ait osé changer la recette, et on a dû redoubler de patience et de pédagogie pour leur faire découvrir la nôtre, et leur faire accepter le fait qu’il y a 1 000 façons de faire du kebab.

“On lui a servi notre kebab avec la sauce algérienne maison. Trois minutes après, il est revenu fou de rage parce qu’il avait trouvé de l’aubergine dans son kebab”

À cette époque, les gens étaient-ils prêts à goûter à ce type de sandwiches ?

Lorsque l’on touche au kebab, il faut être prêt à en assumer les conséquences. On était en train d’effectuer le plus gros changement que le kebab ait vécu en trente ans, ça ne pouvait pas se faire en douceur. Au début, on a vu des trucs de fou. Je me rappelle très bien un client qui est venu et qui nous a commandé un grec, avec sauce algérienne. On lui a servi notre kebab classique, avec la sauce algérienne maison. Trois minutes après, il est revenu fou de rage parce qu’il avait trouvé de l’aubergine dans son kebab.

© Gemüse

Comment vous avez réagi ?

On a essayé de lui expliquer, on lui a proposé de lui en refaire un en enlevant les ingrédients qu’il n’aimait pas. Mais rien à faire, c’était l’aubergine de trop [rires]. Il est parti en scooter en nous hurlant dessus et en nous jetant de loin sa canette. Il y a d’autres clients qui venaient nous dire : “Désolé, mais je crois que votre collègue s’est trompé, il m’a mis le végétarien, il y a plein de légumes à l’intérieur.” Bref, la première année, ça a été sport. On faisait découvrir une nouvelle manière de faire du kebab aux clients, et ça n’a pas été évident de bousculer la sainte trinité salade-tomates-oignons.

“La première année, ça a été sport. On faisait découvrir une nouvelle manière de faire du kebab et ça n’a pas été évident de bousculer la sainte trinité salade-tomates-oignons”

Et, aujourd’hui, les réfractaires d’autrefois ont-ils changé d’avis ?

Les choses ont complètement changé. On a convaincu les clients grâce au goût. Le bouche-à-oreille a fait son chemin, et les clients ne viennent pas tant chez Gemüse parce que c’est un kebab “berlinois”, mais surtout parce que c’est un très bon kebab maison. Des enfants qui ne mangent pas ou peu de légumes chez eux viennent avec leurs parents deux fois par semaine et se régalent. On a même souvent des clients habitués des kebabs tradi qui nous disent à la caisse : “Le kebap classique, c’est bien celui avec les petites aubergines ?” C’est un peu la vengeance de l’aubergine.

© Gemüse

C’est un changement de mentalité important, quand on pense à l’imaginaire du kebab en France…

De manière plus générale, les clients ont une appréhension vis-à-vis du légume parce que le plus souvent, en restauration rapide, il est synonyme de fade, de “healthy” et donc d’anti-gourmand. Avec Gemüse, le but était de prouver que, bien cuisinés, les légumes peuvent être incroyablement gourmands.

Lorsque vous avez ouvert Gemüse, l’idée était de changer l’image que l’on pouvait avoir du kebab traditionnel, que l’on résume souvent aux broches industrielles et aux frites surgelées ?

Lorsque le kebab est fait de manière artisanale, et avec amour, c’est un délice. Voilà ce qu’on voulait prouver avec Gemüse : que le kebab peut encore être passionné, et donc passionnant, qu’il n’a aucune limite générationnelle ou communautaire, et que lorsqu’il est bien fait, il reste le meilleur sandwich chaud que l’on puisse trouver. J’espère que le regain d’intérêt et de curiosité qu’a suscité pour le kebab l’ouverture de Gemüse bénéficiera à tout le secteur.

Trois ans après, ça doit être fou de se dire que le regard a pu changer sur un sandwich qui n’avait pas changé depuis des dizaines d’années ?

C’est complètement dingue. Jamais je n’aurais pu imaginer que l’ouverture de Gemüse aurait été le point de départ d’une vague de changements aussi importante dans le monde du kebab en France. Depuis trente ans, le kebab en France s’est assez peu, si ce n’est pas du tout, renouvelé ; à de très rares exceptions, c’est toujours la même recette, des produits rarement frais, beaucoup de surgelé et d’industriel. Depuis notre ouverture, les kebabs “berlinois” – bons ou moins bons – fleurissent absolument partout en France. Des jeunes se lancent dans le kebab avec la ferme intention de tout faire maison.

“On sert aussi bien des étudiants que des familles, des employés de bureau et des ouvriers, des seniors et des enfants, des hommes et des femmes”

Qu’est-ce que cela veut dire sur l’avenir du kebab ?

Les clients deviennent plus exigeants et font plus attention à une foule de petits détails… Il y a un vent de liberté qui souffle sur la manière d’appréhender le kebab en France, et je suis hyper heureux de voir que Gemüse a pu inspirer une nouvelle génération de kebabistes soucieux du goût, du travail du produit et de la qualité. Si le mouvement se maintient, dans quelques années, on aura réalisé notre rêve : ne plus avoir qu’un seul type de kebab en France, mais de nombreux styles s’adaptant aux goûts, aux spécialités régionales, aux mains et à la vision de chacun de ses créateurs.

© Gemüse

Tu me racontais l’histoire d’un fournisseur de matériel qui vendait désormais des machines à découper les légumes à des kebabistes installés depuis des décennies…

Je pense que ce n’est même pas exagéré de dire que l’arrivée du kebab berlinois en France a carrément provoqué un petit changement de société dans les habitudes de consommation : des kebabs à l’ancienne ont maintenant mis à leur carte une recette “berlinoise”, plus chargée en légumes, comme alternative au kebab tradi qu’ils continuent de proposer. Notre fournisseur de matériel nous racontait la dernière fois qu’il est fréquemment contacté par des kebabs qui existent depuis vingt ans, qui veulent lui acheter des machines à découper les légumes car leurs clients réclament du chou rouge et des légumes dans leur kebab. Kebab et société sont intimement liés : les mœurs peuvent faire changer le kebab, et le kebab peut également changer les mœurs.

“Les mœurs peuvent faire changer le kebab, et le kebab peut également changer les mœurs”

Aujourd’hui, le kebab dit “berlinois” est aussi parfois charrié, voire critiqué, car il “gentrifierait” le sandwich populaire qu’est le kebab. Qu’en penses-tu ?

Oui, ça a même donné lieu à des sketches, qui m’ont d’ailleurs bien fait rire. Une chaîne de kebab bien connue, que je ne citerai pas, a même sorti une recette “berlinoise” avec de la féta dessus en appelant la recette “Le Hipster”, c’est dire… Mais plus sérieusement, je suis convaincu que manger du fait maison, des aliments variés et plus cuisinés, ne doit pas être réservé à une catégorie de clientèle ou une autre. C’est manquer de respect aux habitués du kebab que de penser qu’ils ne sont pas à même d’apprécier un bon kebab fait avec sérieux, même pour deux euros de plus.

© Gemüse

C’est-à-dire ?

Lorsque j’ai créé Gemüse, l’un de mes objectifs était de montrer que, lorsque le kebab est fait avec amour, c’est un sandwich universel. Gemüse n’a jamais eu vocation à être un kebab “de luxe” ou “gourmet”, ce sont des termes que je déteste. Aujourd’hui, on sert aussi bien des étudiants que des familles, des employés de bureau et des ouvriers, des seniors et des enfants, des hommes et des femmes. On a fait un gros effort pour proposer nos recettes à un prix décent, afin de rester accessibles à tous. Même travaillé, le kebab reste moins cher qu’un burger ou une pizza, et même qu’un menu dans une grande chaîne de fast-food américain. Et pas besoin d’être “gourmet” pour apprécier croquer dans un délicieux kebab tout chaud.

En lançant Gemüse, l’idée n’était donc pas de concurrencer le kebab classique, mais de proposer une alternative ?

Quand on a ouvert, la volonté n’était en aucun cas de remplacer le kebab traditionnel. Le discours n’est absolument pas : “Le kebab berlinois est meilleur que le kebab traditionnel.” Pour moi, gros mangeur de kebabs en tous genres devant l’éternel, le but était simplement de proposer une alternative au kebab classique. Montrer que lorsque le kebab est fait de manière artisanale, avec des recettes personnelles, de l’énergie et beaucoup d’amour, il n’y a pas de plus beau sandwich : qu’il y ait des légumes ou non, qu’il soit estampillé “berlinois” ou non.